Le jeu de l’amour et du Hazard

A une époque pas si lointaine, sous le règne du grand renard argenté, attirer au Sporting d’Anderlecht le futur soulier d’or n’était qu’un simple badinage. Une petite « tape » dans le dos d’un dirigeant mauve qui, le sourire narquois, glissait « l’année prochaine, tu es chez nous » avait quasi force de contrat. Ce ne sont pas les Degryse, Weber ou autres De Bilde et Boussoufa qui diront le contraire. Outre un style comparable, Thorgan Hazard avait toutes les chances de rentrer dans cette lignée… Oui mais voilà, aujourd’hui les choses sont devenues considérablement plus alambiquées pour transférer de la jeune pousse belge élevée au grand air flandrien. Retour sur une romance, qu’aurait pu écrire Rostand, où un amoureux frustré, un amant possessif et un mari jaloux dansent un tango à trois…
Indéniablement et contractuellement, Thorgan est marié à un polygame de son état, dont la terre entière a compris qu’il ne l’a épousé que mieux plaire à son Eden de frère. Pour ne pas froisser ce dernier, le bel époux feint de porter égard à son frangin. Mais celui-ci a vite eu le temps long d’avoir compris ne jamais pouvoir devenir le favori, et, comme toutes les femmes délaissées, s’est laissé charmer par un amant moins fortuné mais qui lui a promis un an d’amour, de passion et surtout d’action.
Cette année fut de ces magiques périodes de grâce où tout va bien dans le meilleur des mondes. Ce bonheur vécu au grand jour attira d’ailleurs le regard d’un autre prétendant. Pour lui, ce Thorgan a tout pour plaire, lui rappelant tellement d’anciennes idylles que le temps a éloigné de lui. Mais l’être aimé est marié et vit le parfait amour avec un autre, qui n’est autre que son surprenant rival à la ville… Prenant son courage à deux mains, l’amoureux transi décide de déclarer sa flamme peu après les adieux déchirants entre Thorgan et son amant. Romantique et charmeur, il lui promet que ce qu’il a vécu l’année écoulée, il le vivra encore mieux, encore plus fort avec lui jusqu’à ce que le contrat ne les sépare.
Le courtisé est charmé, flatté même, mais apeuré. Cet amoureux semble sincère, mais traîne derrière lui un solide bagage de bourreau des cœurs de footballeurs. Bien d’autres que lui ont eu le cœur brisé après une biguine avec cet apollon dragueur mais qui se lasse vite, de ce qu’on dit. Tourmenté, il retourne chez son riche et puissant mari qui lui offre confort et renommée.
Mais le mari est alors interpellé par ces courtisans qui ne cachent nullement l’amour qu’ils portent à cette moitié à laquelle il se désintéressait. Jaloux, piqué au vif, il décide alors de se montrer hargneux et… intéressé ! « Vous le voulez pour vous ; il est à moi », « Vous le voulez vraiment, payez en le prix » lance-t-il à l’amant qui en redemande et au courtisan qui en voudrait.
Nostalgique de cette belle année passée, lové dans l’étreinte rassurante de ce flandrien, Thorgan choisit, comme dans ces romances édulcorées, de revenir vers celui qui lui a fait connaitre l’amour. Il rejette donc ce courtisan dont il a pourtant tellement envie, mais pour lequel subsiste des doutes quant à sa capacité à aimer avec la sincérité et l’exclusivité qui font tellement défaut chez son puissant mari. L’amoureux transi est attristé, déçu, mais son orgueil veut qu’il feigne l’indifférence.
Pourtant, ce deuxième séjour chez l’amant ne ressemble pas au premier. L’omniprésence du mari dans leur relation crispe les tourtereaux qui semblent s’aimer désormais par habitude et raison. C’est alors qu’un mystérieux inconnu vient chanter sous le balcon de l’amoureux rejeté, encore meurtri, que tout n’est pas rose dans l’idylle de Thorgan et de son flandrien. Que bientôt, même, il pourrait décider de convoler ailleurs, pour autant que le mari soit d’accord… et cet ailleurs, ce serait chez lui !
Le vent semble avoir tourné pour le courtisan ! Il va parler au mari et évoque son désir de se lier en deuxième noce avec le beau Thorgan. Il ne veut pas d’un amour à durée déterminée, il est en quête d’absolu ! Cette volonté n’aura pas l’écho escompté auprès du mari qui se rebiffera et par jalousie voudra garder sa moitié comme sienne aussi longtemps qu’il le pourra. S’il n’a pas de grands sentiments pour lui, il s’est offusqué d’être le moins désiré des trois, alors que devant la loi, le mari ; c’est lui ! D’ailleurs, il sait aussi que la flamme s’estompe entre lui et son amant… Thorgan reviendra… Alors que lui permettre de batifoler avec ce troisième larron est le risque d’un divorce éventuel qui serait définitif. Impensable pour un riche londonien dont les prétendants se bousculent au portillon.
Résigné, Thorgan continuera à vivre avec son flandrien le peu de temps de qui leur restent à s’aimer, même si ce n’est plus comme avant. D’ailleurs, le bel amant est devenu possessif, envieux de ce courtisan qui s’est permis de croire que parce qu’il est plus attirant, plus connu, plus vantard, allait gagner sans effort le cœur de son partenaire en location. Mais surtout, l’amant est bien triste et humilié que cet amoureux transi ait fait douter, Thorgan qui s’est empressé de minimiser les belles choses qu’ils ont vécues quand il s’est laissé charmer par ce bruxellois séduisant et arrogant.
Aujourd’hui, Thorgan reste chez son amant, non sans espérer un jour avoir une place plus importante dans le cœur de son mari et en fantasmant de temps à autres sur ce bruxellois qui s’est montré si entreprenant. Mais en amour, comme en football, les choses peuvent évoluer très vite.

Quelle littérature en forme den65  :gan: